Plateforme de revendications

POUR UN DROIT D'ACCES ASSOCIATIF DANS LES LIEUX D'ENFERMEMENT DES ETRANGERS

L'administration  enferme dans des « zones d'attente » les étrangers auxquels elle refuse l'accès au territoire national ; elle enferme dans des centres ou locaux de rétention (CRA ou LRA) ceux qu'elle s'apprête à éloigner de ce territoire.

La préservation des droits des personnes qui sont ainsi enfermées, pour des raisons purement administratives, est étroitement dépendante des conditions d'accès à ces lieux d'enfermement.

I- Les enjeux du droit d'accès aux lieux d'enfermement.

Dans un État de droit, ladministration ne peut imposer des mesures privatives de liberté qu'à titre exceptionnel et uniquement si ces mesures sont strictement limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qui ont justifié l'attribution de ces pouvoirs exorbitants.

A légard détrangers que l'administration entend refouler ou éloigner du territoireet auxquels rien n'est pénalement reproché - le maintien dans ces lieux d'enfermement ne devrait donc pas entraîner d'autres contraintes ou privations de droits que celles qui sont directement et nécessairement liées :
  • à la volonté de cette administration de les maintenir à sa disposition,
  • et à son obligation d'assurer leur sécurité personnelle.

Pour le surplus, les personnes maintenues en zone d'attente ou retenues dans des lieux de rétention restent évidemment des sujets de droit et doivent être en mesure d'exercer l'ensemble des prérogatives ou activités attachées à cette qualité.

Pourtant, la conception des lieux d'enfermement, leur gestion et les pratiques qui s'y développent imposent aux personnes retenues des contraintes ou privations de droits qui vont très au-delà de ce qui serait strictement nécessaire pour satisfaire la volonté de l'administration de maintenir ces personnes à sa disposition.

Bien qu'exclusivement dédiés à la mise en œuvre de procédures de refoulement ou déloignement des étrangers, les zones dattente et autres lieux de rétention concentrent ainsi, en réalité, tous les dispositifs et tous les comportements qui confèrent à leur enfermement une dimension carcérale et punitive.

Ces dérives sont largement facilitées par le secret qui entoure les lieux d'enfermement et par l'isolement dans lequel les étrangers y sont maintenus.

Pour rompre avec la banalisation d'un enfermement administratif devenu carcéral, les lieux de rétention doivent devenir totalement perméables aux échanges entre ceux qui y sont retenus et ceux qui ne le sont pas. Cette respiration naturelle est la condition pour que les premiers puissent exercer l'ensemble des droits et satisfaire l'ensemble des besoins non manifestement incompatibles avec la rétention imposée par l'administration.

Les lieux d'enfermement doivent donc rester entièrement accessibles, par principe, à l'ensemble des personnes, organisations ou institutions qui permettent aux étrangers d'entretenir des liens avec l'extérieur.

C'est précisément le rôle des associations militantes, non seulement de faciliter ces relations d'échanges, voire d'y contribuer directement, mais également de vérifier que cette exigence légitime ne subit aucune restriction indue. Il sagit pour ces structures dassurer une veille citoyenne.

Cest pourquoi, un droit daccès associatif dans les lieux denfermement doit impérativement être consacré comme l'une des garanties essentielles de la préservation des droits des étrangers. Les modalités de ce droit d'accès doivent en garantir absolument lindépendance, leffectivité et lefficacité
 
II- Qui peut, aujourd'hui, entrer dans les lieux d'enfermement ?

Lautorité judiciaire est instituée autorité de contrôle des zones dattente et des lieux de rétention par les articles L 223-1 et L 553-3 du Ceseda.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité administrative indépendante, est également compétent pour contrôler les lieux denfermement des étrangers.

Le défenseur des droits, autorité constitutionnelle indépendante, peut procéder à des vérifications sur place dans les locaux administratifs.

Les avocats ont un droit daccès dans les salles de visite de ces lieux denfermement pour y rencontrer les personnes qui sollicitent leurs services.

Les parlementaires nationaux ont le droit de visiter les centres et locaux de rétention ainsi que les zones d'attente.

Enfin, des associations et des collectifs citoyens agissent dans différents cadres :

· Depuis le début des années 1980, la Cimade dabord, puis depuis 2010 quatre associations supplémentaires, sont présentes dans les CRA et dans certains LRA, elles peuvent rencontrer les personnes retenues. Cette présence dans les CRA est financée par l'Etat (sauf à Mayotte et dans les LRA) dans un cadre contractuel. Elle permet d'assurer une écoute et une aide à lexercice des droits des personnes enfermées, ces missions trouvant un prolongement dans des actions inter associatives et une parole publique basées sur des analyses, des dénonciations ou des témoignages publics.

· Comme une dizaine d'autres associations, lAnafé dispose d'un droit de visite dans toutes les zones d'attente. Dans celles de Roissy et dOrly, des locaux sont mis à sa disposition par l'administration. L'Anafé, qui intervient à titre exclusivement bénévole, a fait le choix de ne rencontrer, pour leur apporter une assistance juridique, quune assez faible proportion des personnes qui sont enfermées en zone d'attente, privilégiant une mission de témoignage, analyse et dénonciation publique.

· Parallèlement, la visibilité des centres de rétention a été améliorée, ces dernières années, par lémergence de collectifs citoyens qui rendent visite aux personnes retenues. Ils leurs apportent un soutien et sont porteurs dune parole publique tant sur les situations individuelles que sur le fonctionnement de ces lieux denfermement et les politiques qui sont à lœuvre.

 III- Les insuffisances du système actuel.

Les différents types d'accès aux lieux d'enfermement qui s'exercent aujourd'hui ne suffisent pas à assurer la perméabilité aux échanges de toute nature qui conditionne le plein respect des droits des personnes retenues :

  • Le contrôle de l'autorité judiciaire reste largement théorique, faute pour les autorités concernées d’en faire un usage effectif et régulier ;
  • Les moyens dont dispose le contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapportés au nombre et à la variété des lieux relevant de sa compétence, ne lui permettent de réaliser que des contrôles ponctuels, aléatoires et espacés dans le temps ;
  • Les avocats n'y accèdent que pour rencontrer leurs clients ;
  • Les parlementaires nutilisent quexceptionnellement leur droit de visite ;
  • La présence des cinq associations qui interviennent dans les CRA est en outre encadrée par des marchés publics dont les dispositions peuvent contraindre les associations dans leurs actions, et ne garantissent pas qu'elles puissent les poursuivre dans la continuité.
  • L'Anafé, si elle intervient hors des contraintes dun marché public, voit son action limitée par de nombreuses contraintes liées aux spécificités des zones d'attente et aux pratiques de la police de l'air et des frontières.
  • Enfin, les membres des collectifs citoyens ne peuvent accéder aux personnes retenues que lorsqu'elles exercent leur droit de recevoir des visites. Ils peuvent en outre se heurter à des résistances administratives.

 IV- Les objectifs d'un droit d'accès associatif.
           
Les objectifs que vise la mise en œuvre d'un véritable droit d'accès garantissant la transparence et la respiration des lieux d'enfermement sont de plusieurs ordres :

  • Ouvrir, selon un cadre non contractualisé, les lieux d’enfermement administratifs aux organisations de défense des droits de l’homme
  • Contrôler les conditions denfermement via une veille citoyenne de ces organisations
  • Témoigner et relayer à lextérieur la parole des étrangers retenus
  • Sensibiliser lopinion publique à ces questions denfermement administratif des étrangers
  • Porter les revendications en la matière auprès des pouvoirs publics

Ces objectifs sont en parfaite cohérence avec les objectifs généraux de l'OEE, tels que rappelés dans sa charte, puisque ses fondateurs entendaient, pour dénoncer la banalisation de l'enfermement administratif et la pénalisation du séjour irrégulier comme mode de gestion des étrangers :

  • Recueillir des informations sur l'exercice effectif des droits des étrangers privés de liberté ;
  • Faire connaître la réalité et les conditions de l'enfermement des étrangers ;
  • Témoigner sur les conséquences de cet enfermement et sur des situations conduisant aux violations des droits ;
  • Jouer un rôle d'alerte et de défense des droits des étrangers.

 V- Un droit d'accès associatif autonome, en complément des dispositifs existant.

Le droit d'accès associatif a vocation à ouvrir les lieux d'enfermement à un regard militant, à une veille citoyenne, en complément des actions qui y sont déjà menées par les militants des associations et collectifs. Il doit garantir aux personnes retenues la possibilité de maintenir ou entretenir des échanges entièrement libres avec l'extérieur sous la seule réserve des contraintes rendues strictement nécessaires par la volonté de l'administration de les maintenir à sa disposition et par son obligation de garantir leur sécurité.
Pour autant, il n'a pas vocation à assurer directement la satisfaction de l'ensemble des besoins légitimes des personnes retenues. Il doit être conçu et consacré comme la condition initiale et essentielle d'un libre accès des étrangers aux organisations ou institutions par l'intermédiaire desquelles ces derniers entendent exercer leurs droits. Il ne saurait, ainsi, se substituer aux différents droits d'accès qu'exercent déjà ou que pourraient légitimement souhaiter exercer ces organisations et institutions.
Notamment, les associations et collectifs citoyens qui apportent une assistance (juridique, médicale, humanitaire ...) aux personnes retenues, soit dans le cadre d'une présence permanente ou régulière soit à l'occasion de visites ponctuelles, doivent évidemment pouvoir continuer de le faire sans que leur intervention à ce titre se confonde ou soit remise en cause avec l'exercice du droit d'accès associatif ici revendiqué. Il sagit bien dun accès complémentaire.
A l'inverse, ces associations et collectifs doivent pouvoir continuer d'apporter cette assistance tout en exerçant par ailleurs, si elles l'estiment nécessaire ou utile, le droit d'accès associatif qui  constitue la condition même d'une plus grande ouverture des lieux au bénéficie de l'ensemble des interventions que les étrangers peuvent légitimement souhaiter. 

VI- Principes cadres du droit d'accès associatif
Il doit être consacré par la loi.
Il doit bénéficier à toutes les associations qui se donnent pour but la défense des droits des étrangers .
L'habilitation de ces associations doit être délivrée par une autorité administrative indépendante, qui précisera les modalités pratiques de l'exercice du droit d'accès par les membres de l'association.
Il doit donner accès à tous les locaux relevant des dispositifs d'enfermement administratif des étrangers et à l'ensemble de leurs annexes.
Il doit permettre un accès non restreint a priori à toutes les personnes enfermées ainsi qu’à tous les personnels intervenant dans les lieux d’enfermement.