Lettre ouverte au garde des Sceaux

Sur la délocalisation d'une salle d'audience à Roissy
 
Monsieur le ministre,

Nous apprenons que des instructions ont été données par votre cabinet en vue de l’ouverture, dès le mois de janvier prochain, de la salle d’audience « délocalisée » qui a été aménagée dans la zone aéroportuaire de Roissy Charles de Gaulle en vue d’y faire comparaître les personnes dont la police aux frontières demande au juge des libertés et de la détention de prolonger le maintien en zone d’attente.

Nous tenons à vous rappeler la très vive opposition que ce projet a déjà suscitée, courant 2013, non seulement parmi les organisations de défense des droits des étrangers mais de la part, également, de nombreux parlementaires, de personnalités et d’institutions telles que la Commission  nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ou le Conseil national des barreaux.

La délocalisation de ces audiences dans une salle immédiatement attenante à la zone d’attente, gérée par la police aux frontières et extrêmement difficile d’accès, tant pour le public que pour les avocats chargés de la défense, porte en effet atteinte à plusieurs des principes du procès équitable, notamment aux principes d’impartialité apparente de la juridiction et de publicité des débats ainsi qu’aux droits de la défense. Au surplus, une partie de cette annexe du tribunal (bureaux des magistrats, du greffe, des avocats, seconde salle d’audience, etc.) se  situe à l’intérieur même du bâtiment servant à l’hébergement des personnes maintenues.

Vous trouverez ci-joints les courriers, communiqués de presse, tribune et autres documents par lesquels s’exprimait une opposition totale à tout dispositif reléguant la justice des étrangers sur le tarmac d’un aéroport, loin des palais de justice et du regard de la société civile.

Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait au demeurant lui-même fait part à Madame Taubira, par un courrier du 2 octobre 2013 également joint, des graves difficultés que ce projet posait au regard du respect des droits de l’homme, considérant qu’elles risquaient « d’accréditer l’idée que les étrangers ne sont pas des justiciables ordinaires ».

Madame Taubira ayant alors confié à Madame De Guillenchmidt et à Monsieur Bacou le soin d’établir un rapport d’évaluation de ce projet, ces derniers ont au surplus relevé que « l’espoir d’une économie budgétaire par le recours à de nouvelles modalités de fonctionnement du fait de la mise en service de l’annexe sur l’emprise de l’aéroport de Roissy est tout à fait illusoire » et qu’il s’agit d’un simple « transfert de charges entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice avec un résultat final probablement très négatif pour le budget global de l’Etat ». En outre, si des travaux supplémentaires ont été réalisés à la suite de ce rapport, il ne s’agit que d’aménagements cosmétiques ne permettant en rien de garantir le respect des droits précédemment évoqués.

Ces objections avaient abouti à l’abandon de ce projet inutile et néfaste. Nous vous demandons instamment de renoncer à créer, en le réactivant, les conditions d’une justice dégradée, réservée aux personnes étrangères.

Nous nous tenons bien entendu à votre disposition pour vous rencontrer et vous apporter tous les éclaircissements ou compléments d’informations qui vous paraîtraient utiles.

Compte tenu de l’importance des enjeux qui s’attachent à cette question, vous comprendrez que nous souhaitions donner une large publicité au présent courrier.

Lettre ouverte aux Parlementaires (MOM / OEE)

Les député-e-s renient leur vote de mars 2016
A Mayotte, « l’égalité réelle » attendra ?



Madame, monsieur,

Une des rares avancées de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a consisté à rétablir l’intervention du Juge des libertés et de la détention (JDL), après deux jours de rétention administrative. En 2011, la loi Besson avait retardé cette intervention jusqu’au cinquième jour de rétention, privant ainsi une grande part des personnes enfermées du contrôle de ce juge. Ce retour au délai de quarante-huit heures doit s’appliquer à toute la France ce 1er novembre 2016.

La rapidité de l’intervention de ce juge est primordiale pour les personnes enfermées : garant des libertés individuelles, il décide de l’opportunité de prolonger l’enfermement initialement décidé par le préfet et vérifie si les droits ont été respectés en amont, de l’interpellation à l’arrivée au centre de rétention.

En mars, les député-e-s amendaient donc le projet de loi du gouvernement pour imposer le retour au délai de deux jours, marquant ainsi leur opposition à un recul des droits hérité de la présidence de Nicolas Sarkozy et ouvertement justifié à l’époque par la volonté d’expulser davantage en contournant les juges.

Ce sont pourtant ces mêmes député-e-s qui, avec un avis favorable du gouvernement, viennent d’adopter un amendement en première lecture du projet loi relatif à l’égalité réelle outre-mer excluant Mayotte du bénéfice de ce dispositif : les personnes retenues ne seraient présentées au JLD qu’après cinq jours de rétention.
Les arguments avancés sont de ceux qui, classiquement, tiennent Mayotte à l’écart de l’égalité réelle avec les autres départements français.

D’abord, le Tribunal de grande instance ne disposerait pas des effectifs suffisants. Si ce constat est exact, il incombait à l’Etat d'y remédier avant le 1er novembre, date d'entrée en vigueur du dispositif ; à défaut, il convient de doter ce tribunal des moyens dont il manque, plutôt que de supprimer des droits à Mayotte.

Ensuite, la « pression migratoire » serait telle que la nécessité d’expulser justifierait de renoncer au droit à un contrôle judiciaire de la rétention garanti par notre Constitution. Pourtant, c’est bien à Mayotte que les expulsions sont les plus nombreuses et les plus rapides et que les droits sont le plus massivement susceptibles d’être violés sans un contrôle judiciaire effectif .

Nos organisations demandent aux parlementaires de ne pas abdiquer le principe d’égalité et de s'opposer à cette nouvelle tentative d'introduire un droit d'exception en outre-mer.