Service cynique : En zone d’attente, des animateurs pour banaliser l’enfermement des enfants ?

Le 31 janvier 2022

Sur le site de l’Agence du service civique on peut trouver une annonce de la Croix-Rouge française proposant de recruter des animateurs pour la salle de jeux des enfants de la zone d’attente de Roissy, ce lieu où, arrivant en France, des personnes peuvent être enfermées plusieurs semaines en attendant que l’administration ait statué sur leur sort1. Ces animateurs auront pour tâche de rendre cette salle de jeux « conviviale et chaleureuse » et d’apporter aux mineurs « un moment de répit et de bien-être, d'identifier leurs besoins et d'y répondre si possible ». 

Ainsi donc les zones d’attentes seraient devenues des haltes-garderies, sorte de centres de loisirs au milieu des grilles, des angoisses et du stress. Va-t-on par la suite, dans un même objectif de banalisation de l’enfermement, proposer de généraliser cette initiative aux centres de rétention, où sont détenues des personnes en attendant d’être expulsées ?

Tous les animateurs du monde ne pourront masquer la violence de l’enfermement de familles et d’enfants ; ces ludiques fiches de poste ne seront rien d’autre qu’une caution apportée à des pratiques qu’il est urgent de faire disparaître. 

Ce type d’annonce détourne de surcroît la mission du service civique. Intervenir dans un tel lieu auprès de personnes en attente de leur éloignement est un exercice pour le moins difficile et éprouvant. Or la Croix-Rouge entend y faire travailler des mineurs ou de jeunes adultes peu qualifiés et/ou sans expérience professionnelle. Rappelons qu’un service civique repose sur l’engagement de 6 à 12 mois pour des jeunes de 16 à 25 ans, le tout encadré par une charte qui repose sur des valeurs d’universalité, de solidarité, de diversité ou encore d’ouverture sur le monde. Des valeurs qu’ils auront du mal à trouver dans les zones d’attente !

L’enfermement d’enfants en zone d’attente s’est banalisé ces dernières années. Il y a quelques jours Libération publiait une tribune « Fermons les zones d’attente » signée par une centaine de personnalités et associations. Pour décrire l’inhumanité de ces lieux le texte rappelle que les personnes qui y sont maintenues sont susceptibles de ne pas pouvoir se soigner, de ne pas manger à leur faim, de dormir dans des locaux insalubres ou aux conditions d’hygiène dégradées, d’être privées d’informations sur leurs droits et d’être renvoyées sans avoir vu un juge, sans compter les cas de violences physiques et psychologiques. Il évoque les souffrances post-traumatiques qui en résultent, dont les enfants sont particulièrement victimes. Car, malgré les recommandations de très nombreuses organisations nationales et internationales qui condamnent cette pratique, la France persiste à enfermer des mineurs, seuls ou accompagnés, dans les zones d’attente.

Nous espérons que la Croix-Rouge française renoncera à ces services civiques et nous demandons à l’Agence française du service civique de supprimer immédiatement de son site de telles annonces : non seulement elles dévoient un dispositif pensé pour donner aux jeunes une première expérience professionnelle enrichissante faite de solidarité et d’ouverture à l’autre, mais elles légitiment l’enfermement des enfants.

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1. https://www.service-civique.gouv.fr/trouver-ma-mission/animation-de-la-salle-de-jeux-en-zone-dattente-de-roissy-61e9ac1de6d4f3629943eeb2 ou https://www.service-civique.gouv.fr/trouver-ma-mission/proposer-des-temps-de-repits-aux-enfants-accueillis-a-la-pauh-roissy-61eae5bd0a254676825b3493).



La politique d’enfermement tue

Ce mercredi 15 décembre, M. U., ressortissant kosovar qui résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans avant que le renouvellement de son titre de séjour « étranger malade » ne lui soit refusé, a mis fin à ses jours dans les geôles du palais de justice de Bordeaux.

Alors qu’il avait confié son projet de suicide à plusieurs reprises le jour du drame, aucune mesure de prévention n’avait été prise. Visé par une obligation de quitter le territoire français à la suite du retrait de son titre de séjour, M. U. était poursuivi devant le Tribunal Correctionnel, en comparution immédiate, pour avoir refusé d’embarquer dans un avion à destination du Kosovo : la perspective d’être expulsé et d’y être renvoyé l’a poussé au pire.

C’est le second suicide en lien avec la rétention en quelques semaines : le 22 novembre 2021, une personne retenue au CRA de Oissel a tenté de mettre fin à ses jours et est décédée le lendemain des suites de son geste.

Le recours massif à l’enfermement des personnes étrangères au seul motif de l’irrégularité de leur situation administrative est la cause d’innombrables drames que les associations de défense des droits humains et, avec elles, de nombreux∙ses avocat∙e∙s dénoncent depuis des années. Pour la plupart d’entre elles, cette privation de liberté est synonyme d’extrême angoisse, dont le suicide, comme celui de M. U., peut être l’issue fatale.

Pourtant, les poursuites pénales pour refus d’embarquement - ou pour refus des tests PCR imposés en vue de l’expulsion - se sont multipliées depuis plus d’un an, au point d’exploser aujourd’hui, ajoutant à cet enfermement administratif de lourdes peines d’emprisonnement.

L’acharnement des préfectures à expulser à tout prix obtient ainsi le soutien de certain∙es Procureur∙e∙s de la République prompt∙e∙s à déclencher des poursuites et de juridictions prêtes à condamner des personnes qui redoutent seulement de se retrouver dans un pays qu’elles ont fui. Ainsi la politique pénale se met-elle au diapason d’une politique d’immigration et d’asile inhumaine.

Aux dernières nouvelles, un homme, emprisonné au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, a été hospitalisé alors qu’il menait une grève de la faim depuis plusieurs semaines après avoir été condamné pour avoir refusé le test PCR préalable à son expulsion. Combien de nouveaux drames faudra-t-il dénombrer avant que cette escalade répressive et disproportionnée soit abandonnée ?

Attentatoire à leurs droits fondamentaux et meurtrière, la criminalisation des personnes étrangères doit prendre fin.

                    Paris, le 22 décembre 2021