Paris, le 19 octobre 2020
Madame Claire Hedon Défenseure des droits
Objet : URGENT témoignages de violences policières au CRA du Mesnil Amelot Madame la Défenseure des droits,
L’Observatoire de l’enfermement des Etrangers (OEE), collectif d’associations qui étudie et dénonce depuis 2011 les violations des droits des personnes étrangères privées de liberté, souhaite attirer votre attention en urgence sur un témoignage relatant des faits très inquiétants qui se seraient déroulés récemment au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil Amelot, dans la zone familles et femmes seules. Depuis toujours, mais plus particulièrement depuis le doublement de la durée de la rétention (jusqu’à 90 jours) établi par la loi Collomb du 10 septembre 2018, nos organisations sont régulièrement saisies de récits de personnes enfermées faisant état de violences policières à l’intérieur des CRA.
Comme vous le savez, il est extrêmement difficile pour ces personnes de porter plainte depuis leur lieu d’enfermement, ou pour que leurs rares plaintes soient prises en compte, si bien que nous n’avons que peu de cas avérés et a fortiori encore moins de cas sanctionnés par la justice.
Aujourd’hui, nous vous saisissons d'un témoignage direct d’une personne qui enfermée qui a été porté à notre connaissance et qui nous alerte tout particulièrement, puisqu’il s’agit de femmes retenues au Mesnil Amelot. Il est bien connu que les femmes placées en rétention sont peu nombreuses ( 7% des placements) et que, plus largement, les migrations féminines, si elles sont majoritaires, restent en grande partie invisibles. C’est notamment pourquoi le témoignage que nous vous transmettons revêt à nos yeux une importance particulière.
Ce témoignage - transcription d’un récit présenté comme ayant été recueilli par téléphone que nous
a transmis la plateforme Infoluttes - donne des éléments très précis sur des humiliations subies par
des femmes retenues.
Vous en trouverez la transcription intégrale à la suite de ce courrier et vous pourrez accéder à son
enregistrement audio par le lien suivant :
https://paris-luttes.info/tu-chantes-pas-tu-manges-pas-14383
Parmi les éléments rapportés, nous soulignons que l’obtention de protections périodiques a également été documenté dans le dernier rapport d’observation de l’ANAFE dans les zones d’attente. C’est un problème qui peut potentiellement être habituellement passé sous silence en raison du caractère intime qu’il peut revêtir.
Plus grave encore, le récit de l’humiliation collective consistant à faire chanter les retenues pour
« l’anniversaire du chef » en échange de leur repas soulève l’indignation. Il est à noter que, si elle
était avérée, cette pratique nauséabonde a déjà été constatée dans d’autres contextes. Elle a – entre
autres - été signalée en 2012 par Human Rights Watch (HRW), dans son rapport sur les contrôles
d’identité abusifs. Ces pratiques semblent concerner particulièrement des personnes vulnérables et
notamment des jeunes et des femmes, lors de contrôles d’identité.
Enfin, le comportement relaté des policiers présents qui semblent avoir sciemment refusé de donner des soins à une personne en état de détresse médicale manifeste ou d'appeler les services de secours s'apparente à un refus d'assistance à personne en danger.
Nous vous saisissons en urgence compte tenu des toutes dernières informations reçues par certaines de nos associations faisant état de pressions policières exercées sur la personne dont le témoignage a été recueilli afin qu’elle accepte de se plier à un test PCR. Outre ces pressions dont elle fait état, son expulsion pourrait être imminente et compromettre la possibilité de l’entendre directement.
L’Observatoire reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et se tient attentif à la suite que vous voudrez bien donner à cette saisine, que nous adressons également à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté au titre de ses compétences en matière de privation de liberté.
Pour l'OEE,
Claire Rodier GISTI
L’Observatoire de l'enfermement des étrangers est composé des organisations suivantes :
ACAT-France, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Anafé, Comede, Droit d’urgence, Fasti, Genepi, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l'homme, MRAP, le Paria, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau, Observatoire du CRA de Oissel, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM)
Annexe :
Retranscription du témoignage enregistré sur RFPP 106.3 FM
“Tu chantes pas, tu manges pas !” // témoignage des prisonnières du CRA du Mesnil-Amelot Publié le 14 octobre 2020
Au CRA du Mesnil-Amelot les prisonnières font face au harcèlement policier raciste et sexiste et à des conditions sanitaires insalubres. Alors qu’une prisonnière est tombée malade suite à une infection (dû au rationnement de serviettes hygiéniques), les prisonnières ont du lutter pour faire intervenir les pompiers. Elles dénoncent les multiples insultes et harcèlements – traitées notamment de « putes » par les flics- et aussi l’humiliation lorsque ils les forcent à chanter « joyeux anniversaire » au chef du centre sous peine de ne pas manger. Elle dénoncent aussi la nourriture périmée qui leur est donnée, qui s’ajoute au froid dans lequel elles vivent. Voici une retranscription de l’émission de l’Envolée du 9 octobre dans lequel une prisonnière raconte tout ça.
Bonjour madame
– Bonjour, déjà merci de ton appel, est ce que tu vas bien ?
– Oui ça va un peu malgré le stress et tout .
– Tu voulais nous parler de choses précises aujourd’hui ?
– Ouais ouais ce que je vis depuis 2 jours là, ça a commencé avant hier et ça m’a un peu
bouleversée, ça ma’a rendue triste et donc c’est pourquoi je voulais le partager avec certaines personnes aussi.
– N’hésite pas vas y on t’écoute.
– En fait ici sur le CRA des filles, parce que nous sommes aussi avec des filles qui parlent pas français – il y a les albanaises et tout- nous vivons avec elles. Alors il y a de cela 2 jours, il y a une albanaise qui est venue me voir, comme elle parle pas français, elle, elle parle anglais... bah bien que je parle pas trop français je me débrouille quand même. Elle est venue me dire qu’elle avait ses règles et elle voulait avoir des bandes hygiéniques. Elle me dit si je peux l’accompagner à la police pour aller demander des bandes hygiéniques. Là je l’ai accompagnée, arrivées là bas on a trouvé une dame, je lui ai dit voilà, la demoiselle elle a ses règles elle voulait avoir les bandes hygiéniques et la police lui a remis juste 2 bandes. Elle a négocié elle a dit avec 2 bandes qu’est-ce que je vais faire avec ? Et la police l’a grondé. La fille elle a eu peur, on est rentrées. Après dans la journée elle a utilisé les 2 serviettes, ça n’a pas suffit. Donc elle est venue me voir elle a demandé si j’en avais aussi. Moi non plus j’en avais pas. Du coup elle a pris son habit, elle a pris sa blouse, elle l’a déchiré, elle a utilisé ça comme serviette. Sans se rendre compte qu’il y avait des problème avec ça. Et comme la femme, elle est trop fragile elle a attrapé des infections. Elle a commencé à avoir trop mal au niveau du bas ventre et au niveau de la hanche. Elle pleurait tellement fort, elle est venue me dire « je me sens pas bien, j’ai trop trop trop mal », du coup elle est tombée par terre elle a commencé a crier très fort et comme dans notre bâtiment, il y a un bouton là quand vous appuyez directement ça sonne chez la police. Moi j’ai sonné et on a essayé d’appeler la police. La police nous a répondu « nous ne sommes pas là pour vos conneries, donc démerdez vous là bas ». C’est la réponse qu’ils nous ont donnés. Et du coup la fille elle a commencé à pleurer. Au départ on croyait que non ça va passer, c’est juste une douleur, comme on avait pas aussi les antidouleurs rien du tout. Elle pleurait, elle pleurait et plus le temps avançait, la fille elle devenait pale et elle avait une forte fièvre je voyais aussi ses yeux commencer déjà à changer et tout le monde était paniqué. On savait plus quoi faire. Elle pleurai tellement, elle était par terre, elle a commencé à faire... comment appeler ça...
– Des convulsions ?
– Oui. Et elle pleurai tellement fort j’ai eu peur. Après il y a une des amies ici, on l’avait rapatriée il y a pas longtemps, elle m’a appelé, j’étais tellement paniquée, je lui ai expliqué la situation, elle m’a dit « attends d’abord je t’envoie le numéro des pompiers ». C’est elle qui nous a
envoyé le numéro des pompiers. On a essayé de contacter les pompiers, mais on leur a dit, dès que vous êtes là, il faut pas dire aux flics que c’est nous qui vous avons fait un signe parce que ça risque de nous créer des problèmes. Effectivement les pompiers sont arrivés, à la porte d’abord, il y a eu un peu de discussion, apparemment la police ne voulait pas que les pompiers rentre à l’intérieur pour prendre la retenue. Et à la fin les pompiers ils ont réussit à les convaincre parce que les pompiers ils sont entrés à l’intérieur ils ont pris la fille ils ont vérifié l’état de sa tension, elle était déjà en baisse, ils ont remarqué aussi qu’elle avait une forte fièvre, la fille était vraiment KO. Ils ont pris la fille et ils sont partis avec. Et puis la police est venue. Déjà les portes de ma chambre sont déjà cassées donc ça fait déjà 3 jours que je dors... on dirai que... je suis congelée en fait. Premièrement on mange pas bien et aussi tu dors dans le froid, j’imagine la suite de ma santé avec la crise sanitaire, comment je vais m’en sortir ? Donc j’ai l’impression que je vais aussi tomber malade. Et du coup les flics ils sont venus nous voir « Ouais les filles c’est vous qui avez appelé les pompiers ? On va voir. » Directement ils se sont approchés de moi, ils ont commencés à m’agresser en me disant « toi tu parle français mieux que les autres c’est à dire c’est toi qui est allé appeler les pompiers » j’ai dit « mais comment ? C’est pas moi qui ai appelé les pompiers c’est la fille elle-même, c’est elle-même qui avait mal et savait ce qu’elle sentait dans son corps. Moi je suis pas dans son corps pour sentir ce qu’elle elle sent, c’est elle qui a appelé les pompiers. » Et directement une policière s’est approchée de moi, elle a voulu me gifler, j’ai esquivé, je suis rentrée dans ma chambre. Vers 4h, ils sont venus dans ma chambre comme la porte est déjà cassée, comme toutes les portes sont déjà cassées, donc il y a même pas moyen qu’elle frappe à la porte, elle rentre, elle m’a réveillé à 4h et j’ai sursauté sur le lit il y avait déjà l’un des... [problème de téléphone] je ne comprenais rien de ce qu’il voulaient me faire en fait... Le policier il était dehors et la dame elle est rentée, elle m’a réveillé elle dit « demain tu dois te présenter au greffe » j’ai dit « bah pour quelle raison ? » « Tu n’as aucun droit de me poser des questions, demain tu te présentes au greffe. » Je lui demande « mais pourquoi ? » elle me dit « Tu dois faire le test parce qu’il y a un vol prévu pour toi » je lui ai dit « non je vais pas faire le test » « si tu oses refuser tu vas voir, de toute façon tu verras ce qu’on va te faire. » Le matin effectivement vers 10h comme ça, les gens de l’hôpital m’appellent : « mademoiselle il faut passer à l’infirmerie. » Je suis pas partie, j’ai essayé d’appeler les garçons, les amis qui sont dans l’autre CRA, ils me disent « non il faut pas y aller ». Je suis pas allé non plus. Après quelques minutes comme ça je vois qu’ils ont envoyé 4 policiers qui sont venus. Ils me disent « madame vous êtes appelée à l’infirmerie. » Comme j’ai refusé de partir du coup je vois l’un d’eux dit : « ok vous seriez poursuivie : 3 ans de prison si vous faites pas le test. » J’ai pas répondu à ça et dans la nuit encore ils sont venus là ou j’étais et ils ont commencé à me traumatiser. Il y en a un là qui m’a bousculer. Elle me dit « comme tu veux pas y aller, que ca fait 2 fois que tu as refusé le vol, tu seras escortée parce que tu dois faire le test. » J’ai dit « non c’est ma santé si je ne veux pas faire le test, je ne vais pas, je ne vais pas, de toute façon je suis pas en train de présenter les symptômes du Covid ». Ils ont commencé à parler n’importe quoi, comme ils voulaient parler et c’était fini.
– Aujourd’hui quand on est allé manger, vers 18h (aujourd’hui on a fini à 19h), nous sommes rentrées à l’intérieur du réfectoire comme on fait souvent, des lignes : vous montrez les cartes et puis vous vous asseyez. Du coup on voit la policière elle se lève et elle nous dit « Avant de manger vous devez d’abord chanter. » Chanter ? Chanter quoi encore ? Elle nous dit comme quoi ouais aujourd’hui c’est l’anniversaire de leur chef et nous sommes obligées de chanter. J’ai dit « est-ce que chanter pour votre chef c’est obligatoire ? »
– Elle me dit « si tu chantes pas tu manges pas ».
– C’est à dire on a commencé à prendre une personne par personne. C’est à dire vous rentrez à l’intérieur vous chantez 3 fois joyeux anniversaire, 3 fois, et puis vous partez manger. Si vous refusez on ne vous donne pas à manger. Il y a le même fille là qui était malade, celle qui avait été emmenée à l’hôpital elle ne se sentais pas bien, elle n’a pas la force de chanter et la policière lui a exigé de chanter, la fille elle dit : « j’ai très mal, je ne peux pas chanter ». Directement on a refusé de la nourrir. Jusqu’à présent la fille est est dans la maison [la chambre] et comme on a l’habitude de prendre le pain pour rentrer avec dans la chambre, ils ont remarqué que quand on prenait le
pain on va donner à la fille. Ils ont refusé de nous donner même le pain ... [problème de téléphone] quand la nuit elle est trop longue. Parfois la nourriture qu’on nous donne on arrive pas à manger, c’est pas du tout bon alors quand on te donne le pain ca va t’aider durant la nuit tu peux avoir faim. Ça peut t’aider, tu peux manger, tu bois de l’eau, tu dors et la nuit passe. Mais comme notre amie elle est malade, le pain là on allait amener avec nous, comme ça on peut partager avec l’autre. Mais eux ils disent non il faut pas prendre de pain parce que ils savent que au cas ou on prenait le pain on va le donner à la fille. Ça fait depuis le matin que la fille n’a pas mangé vous exigez aux gens de chanter pour votre anniversaire, vous vous êtes bien alors que nous nous sommes stressées la nuit on dort pas on ne sait pas comment on va s’en sortir. Oui on a fait des erreurs chaque personne fait des erreurs dans la vie et toute personne à le droit à un deuxième chance...
[...]
– Je suis avec deux autres ici.
– Et ca va ? Elles ont le moral ?
– Bah on essaie un peu d’être fortes, on essaie. On a pas le choix, seulement la fille elle
m’inquiète beaucoup parce que on a donné des médicaments qu’elle doit prendre ce soir mais elle n’a rien mangé, comment elle va s’en sortir ? Elle n’a rien mangé elle est devenue pale. Déjà ici je n’ai pas de pull, déjà je porte que seuls deux habits que je suis venue avec depuis que je suis venue en France. Je suis venue avec que deux habits parce que je fuyais chez moi avec la guerre qui était là bas je fuyais, je n’avais que deux habits et toutes les portes sont cassées ce qui fait qu’il fait très très très froid. Ça fait deux mois et quinze jours que j’utilise les même draps non lavés et c’est déjà troué. Donc j’arrive même pas à me couvrir comment je vais continuer à vivre comme Ça ?
Elles nous ont racontées ce matin que la femme malade a été libérée hier soir, suite à l’intervention
des pompiers. C’est grâce à leur lutte collective que cela a pu arriver !
Audio complet de l’émission de l’Envolée ici :
https://lenvolee.net/emission-du-9-octobre-2020-idir-tue-a-corbas-violences-policieres-au-cra-
parloirs-sauvages-et-mouvements-a-linterieur/
Émission qui a lieu tous les vendredis de 19h à 20h30 sur RFPP 106.3 FM et qui parle de / et
donne la paroles aux prisonnier.ères et à leurs luttes !
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