Communiqué de presse – 8 juillet 2020

Rétention : la justice se rend à l’intérieur

Les personnes étrangères enfermées dans les centres de rétention administrative payent le prix fort d’une justice dégradée dans les conditions dérogatoires de l’état d’urgence sanitaire : à Hendaye et Oissel des audiences illégales sont organisées dans des lieux de police. Ces pratiques contraires aux grands principes de la justice s’inscrivent dans le contexte d’une politique d’expulsion qui prévoit de les développer durablement.

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les ordonnances du 25 mars puis du 20 mai 2020 prévoient une organisation dérogatoire de l’ensemble du fonctionnement de la justice [1], avec la possibilité de statuer à juge unique, de réduire la publicité des audiences, d’utiliser un moyen de télécommunication audiovisuelle et même d’entendre les parties par téléphone, voire de ne pas tenir d’audience pour certaines procédures.

Si la plupart de ces dispositions sont à la discrétion des magistrat·e·s, la majorité des personnes étrangères en rétention sont, depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, jugées à distance, par visioconférence, par téléphone voire sans audiences.

Les conséquences sont désastreuses pour la défense des droits. Une bonne partie de ces personnes ne maîtrisent pas le français et comparaissent ainsi sans pouvoir comprendre correctement les propos exprimés. La mauvaise qualité des transmissions audiovisuelles, l’absence, parfois, d’interprète, ou l’impossibilité de voir toutes les parties, nuisent fortement au respect du principe d’un procès équitable. La préparation de la défense entre avocat·e·s à distance et personnes enfermées est souvent réduite à quelques minutes. L’utilisation de salles en principe destinées aux entretiens par visioconférence avec l’OFPRA, situées au cœur des centres de rétention, à proximité desquelles se tient la police aux frontières, ne permet pas de garantir la confidentialité des échanges. La publicité des audiences est grandement affectée par ces dispositifs.

À Oissel et Hendaye, les juridictions judiciaires organisent des audiences illégales situées dans des lieux de police.

Fin 2019, la cour d’appel de Pau avait déjà tenu des audiences par visioconférence dans les locaux du commissariat de police d’Hendaye situés dans la même enceinte que le CRA, avant d’abandonner ce procédé illégal dénoncé par de nombreuses organisations. Le 22 juin, à la réouverture du CRA dont l’activité était suspendue depuis mars, cette pratique a repris.

Dans le même temps, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rouen tenait audience alors que les personnes enfermées se trouvaient dans une petite salle située au sein de l’école de police de Oissel qui dépend du ministère de l’intérieur.

Dans les deux cas des entraves sont constatées pour l’accès du public, ou la transmission des informations et des pièces entre les parties, portant gravement atteinte aux droits de la défense, à un procès équitable et à la publicité des débats.

Dans le contexte d’une politique générale qui ne donne pas les moyens suffisants à la justice pour qu’elle fonctionne correctement, et bien au-delà des réelles contraintes de l’état d’urgence sanitaire, les droits des personnes étrangères en rétention sont en passe d’être durablement sacrifiés au prétexte de la réalisation d’économies qui sont loin d’être toujours démontrées. Cette évolution conduit essentiellement à renforcer la politique répressive menée en matière d’expulsion.

En effet, après la création de salles d’audiences délocalisées à côté des CRA (Mesnil-Amelot, Marseille), le gouvernement compte multiplier ces lieux où la justice est rendue de façon dégradée.

Dans les CRA de Rennes, Toulouse, Lyon et Mayotte des projets de construction sont en cours, avec des bâtiments jouxtant ces lieux de privation de liberté, voire situés sur leur parking. Les personnes y seront jugées par le truchement d’une caméra, à distance des juges, de leur conseil, voire de leur interprète.

Le fonctionnement dérogatoire prévu par l’état d’urgence sanitaire conduit au constat que de telles conditions ne sont pas appropriées à juger dignement des personnes dont le destin est en jeu, souvent précarisées, et dont un grand nombre n’est pas francophone.

Nos organisations demandent au ministère de la justice l’abandon immédiat des pratiques illégales constatées à Hendaye et Oissel ainsi que d’une politique visant à développer et pérenniser une justice au rabais pour les personnes enfermées en rétention menacées d’expulsion.

 

 

[1] En application pour la justice un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 10 août, sauf pour la Guyane et Mayotte ou l’EUS est prolongé jusqu’à fin octobre en première lecture à l’assemblée le 17 juin.


78 Européens enfermés dans la zone d’attente de Roissy en pleine épidémie du Covid-19 : L’acharnement du gouvernement doit cesser ! 

jeudi 7 mai 2020
Depuis le 5 mai, 73 ressortissant·es européen·nes sont maintenu·es dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle après s’être vu refuser l’entrée sur le territoire français. La plupart ont des contrats de travail avec des attestations de déplacements professionnels national et international. Il y a, parmi elles, une famille avec un enfant de plus de 13 ans et 6 résidents permanents en France.
Arrivées le matin à l’aéroport, ces personnes ont été entassées toute la journée, et pour certaines une partie de la nuit, dans deux pièces sans fenêtre d’une quinzaine de mètres carrés chacune, devant les postes de police dans les aérogares A et E du terminal 2. Au cours de la soirée et durant une partie de la nuit, elles ont progressivement été transférées dans le lieu d’hébergement de la zone d’attente de Roissy, la ZAPI 3.
Ces personnes viennent s’ajouter aux 5 ressortissants chinois maintenus en ZAPI, qui se sont vu refuser l’entrée sur le territoire lundi 4 mai. En provenance de Shanghai, ces derniers ont été refoulés depuis Mexico à Paris. La PAF (police aux frontières) veut les renvoyer vers Shanghai.
Les gestes barrières et la distanciation sociale ne peuvent pas être respectés en ZAPI. L’étage où se trouvent les chambres, les couloirs et les sanitaires et douches n’est pas équipé en gel hydroalcoolique. Les cabines téléphoniques et lieux collectifs ne sont pas désinfectés après chaque usage. Chaque occupant·e se verrait délivrer un masque par jour, alors que les préconisations sanitaires recommandent le changement de masque toutes les 4 heures maximum.
Cette situation met en danger à la fois les personnes maintenues et le personnel qui travaille dans la ZAPI 3, lequel ne dispose pas toujours, lui non plus, du matériel nécessaire pour se protéger.
Depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers n’a cessé d’alerter sur les risques sanitaires et les atteintes aux droits humains du fait de la privation de liberté en zone d’attente. Ses inquiétudes actuelles concernent principalement les conditions de maintien en ZAPI, notamment l’impossibilité de respecter les gestes barrières et la distanciation sociale, mais aussi la violation des droits des personnes.
Des avocats des barreaux de Bobigny, de Paris et de Pontoise ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil pour qu’il mette un terme à cette situation inacceptable.
Contrairement à ce qui est annoncé depuis plusieurs semaines, les frontières ne sont pas « fermées », les refoulements continuent et ce, au mépris des préconisations de l’OMS quant aux risques d’exportation du virus. Les 73 ressortissants bulgares qui avaient explicitement manifesté leur volonté d’entrer sur le territoire, ont subi les pressions non seulement du gouvernement français mais aussi des autorités bulgares qui se sont rendues en ZAPI hier soir. Ce matin, elles ont été réveillées vers 5h et sont en cours de tentative d’embarquement, un vol étant prévu à 10h20.
L’OEE demande une nouvelle fois que le gouvernement en finisse avec son acharnement. Il faut fermer les zones d’attente et tous les lieux privatifs de liberté. La politique migratoire ne saurait prévaloir ni sur l’impératif de protection de la santé, quels que soient le statut et la nationalité des personnes concernées, ni sur le respect des droits fondamentaux.
Organisations membres de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers :
ACAT-France, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Anafé, Comede, Droit d’urgence, Fasti, Genepi, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l’homme, MRAP, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM)