Incarcération d’étrangers refusant de se soumettre à un test PCR : un scandale juridique et politique

Le 24 novembre 2021

Pendant plus d’un an, de nombreuses personnes étrangères[1] sous le coup d’une mesure d’éloignement ont été condamnées à des peines d’emprisonnement sans aucun fondement légal pour avoir refusé de se soumettre à un test PCR. C’est ce que vient de reconnaître la Cour de cassation.
 

Un communiqué commun de l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF) et de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE). L’OEE est un collectif composé de : ACAT-France, Anafé, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Comede, Droits d’urgence, Fasti, Gisti, La Cimade, Le cercle des voisins, Le Paria, Ligue des droits de l’Homme (LDH), MRAP, Observatoire citoyen du CRA de Palaiseau, Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat des avocats de France (SAF). 

Saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Pau, la Cour de cassation a conclu le 10 novembre que « le refus par un étranger de se soumettre à un test de dépistage de la Covid-19 nécessaire à l’exécution d’une mesure d’éloignement ne constituait pas une infraction à l’époque des faits »[2]. Depuis la levée de la première phase de confinement à l’été 2020 et l’exigence par la plupart des pays d’un test négatif au départ de France, des condamnations à des peines de prison ferme ont pourtant été prononcées quasi-quotidiennement à l’encontre de personnes enfermées dans des centres de rétention administrative en vue de leur expulsion et qui avaient refusé de se soumettre à un dépistage de la Covid-19. 

Au cœur de ce circuit répressif, le délit de « soustraction » à l’exécution d’une mesure d’éloignement[3] qui, bien que mobilisé à l’envi pour sanctionner ces refus de tests, ne prévoyait pas qu’ils puissent être réprimés. La Cour de cassation rappelle en ce sens que « le test PCR est un acte médical qui requiert le consentement de la personne ». Toute exception à ce principe doit donc être expressément et limitativement encadrée par la loi – ce qui n’était alors pas le cas. Pour dire les choses autrement, il était hasardeux – et nous le savons maintenant, impossible – de reprocher à une personne de s’être opposée à une mesure qu’elle n’était pas obligée d’accepter. 

C’est ce que soulignaient déjà plusieurs universitaires, médecins, avocats, associations[4] qui dénonçaient le détournement d’instruments de santé publique au service de préoccupations de nature policière. Et certains juges refusaient, pour leur part, de cautionner de telles pratiques. 

Il n’est malheureusement pas étonnant que l’administration, obsédée par la poursuite des expulsions pendant la crise sanitaire et déterminée à y parvenir par tous moyens, soit restée sourde à ce raisonnement. Il est en revanche beaucoup plus inquiétant que tant de magistrats aient adhéré sans hésitation à cette politique en perdant totalement de vue les principes les plus élémentaires du droit. Difficile dès lors de ne pas déceler dans cet acharnement judiciaire un affront à la séparation des pouvoirs. 

La portée de la décision de la Cour de cassation qui sanctionne ces graves dérives reste toutefois symbolique. Car entretemps le législateur est venu modifier le cadre légal pour inclure, dans le délit de « soustraction » à l’éloignement, le « refus, par un étranger, de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office de la mesure dont il fait l’objet »[5]. Une réforme impulsée par un amendement du gouvernement au projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire voté dans la précipitation au beau milieu de l’été 2021 – soit un an après les premières condamnations. 

Certes, la décision de la Cour de cassation aura eu le mérite de confirmer a posteriori le scandale juridique de ces condamnations à des peines de prison ferme distribuées à tout va sur la base d’une infraction aussi imprécise que clivante. Mais intervenant après que la loi a été modifiée, elle révèle du même coup la volonté tenace du gouvernement de lever un à un les derniers obstacles que les principes fondamentaux du droit opposent à sa politique inhumaine à l’égard des personnes étrangères. Au scandale juridique s’ajoute ainsi le scandale politique de la déconstruction méthodique des garanties de l’État de droit. Rappelons-le une fois encore, un test PCR n’est rien d’autre qu’un acte médical, et requiert de ce fait le libre consentement de la personne. Il ne devrait donc souffrir d’aucune forme de pressions ou de sanctions, ni faire l’objet d’un tel dévoiement au profit d’objectifs administratifs.

Contact presse : Pauline De Smet – 07 60 49 19 96

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1. S’il est impossible d’obtenir un décompte exact, les statistiques du ministère de la justice font état d’en moyenne 52 infractions relatives à l’« expulsion, interdiction du territoire, reconduite à la frontière » poursuivies par mois sur les années 2017 à 2019, contre 92 sur la période juillet 2020 – juin 2021 (soit 480 personnes supplémentaires).
2. Cass. Crim., 10 nov. 2021, n° 21-81.925.
3. Article L.824-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
4. Voir notamment la tribune publiée dans Le Journal du Dimanche le 1er mai 2021 : « L’alerte de médecins et d’universitaires : “Les tests Covid ne sont pas des outils de police administrative” ».
5. Loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.