Pénalisation des étrangers : « tout changer pour que rien ne change » ?
Contraint
de se plier aux décisions de la Cour de justice de
l’Union européenne, le gouvernement a fait adopter la loi du 31 décembre 2012 supprimant le délit de séjour irrégulier.
Une
rupture avec la ligne de fermeté envers les étrangers
en situation irrégulière ? Un pas vers plus d’humanité
dans une logique de protection des droits
fondamentaux ? Ce n’est malheureusement pas le cas.
- Pour pallier la suppression du délit de séjour irrégulier, des infractions demeurent ou sont mises en place. C’est ainsi que l’article L. 621-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit toujours la répression de l’entrée irrégulière et que la loi du 31 décembre 2012, reprenant d’une main ce qu’elle donne de l’autre, introduit une infraction de résistance passive à une mesure d’éloignement ou d’assignation à résidence (nouvel alinéa 1 ajouté à l’article L. 624-1 du Ceseda) : une façon de ne pas heurter de front la jurisprudence de la Cour de Luxembourg ;
- La garde à vue des étrangers, rendue impraticable du fait de la dépénalisation du séjour irrégulier, est remplacée par une mesure de retenue administrative qui en est la copie quasi conforme : les services de police peuvent continuer de remplir les centres de rétention et les salles d’embarquement en tout confort.
L’essentiel
répressif étant ainsi préservé, ce même gouvernement
aurait pu se montrer plus compréhensif dans le
traitement des conséquences réglementaires et
administratives de ce tour de passe-passe législatif.
Il n’en est rien.
- Le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 portant création du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) n’autorise que l’enregistrement de données destinées à permettre l’identification d’auteurs de crimes ou délits ; il est donc en toute logique devenu inutilisable pour identifier les étrangers en situation de séjour irrégulier. Qu’à cela ne tienne, le ministère de l’intérieur prépare un décret élargissant l’objet du FAED, qui permettra de continuer à traiter leurs empreintes comme s’il s’agissait de délinquants ;
- Les dépenses médicales et d’interprétariat engagées dans le cadre des nouvelles mesures de retenue administrative ne peuvent plus constituer des frais de justice, car ne se rattachant plus à la recherche d’auteurs d’infraction ; le ministère de la justice demandait donc que la logique budgétaire soit respectée et que le ministère de l’intérieur les prenne en charge. Matignon a pourtant tranché : ces dépenses continueront d’être imputées sur les frais de justice correctionnelle.
Ainsi,
malgré la suppression du délit de séjour irrégulier,
la pénalisation des étrangers continue d’imprégner la
loi jusque dans ses moindres détails.
Les organisations soussignées dénoncent le
double langage du gouvernement consistant à invoquer « l'humanité » à l'égard des
étrangers - qui accompagne « la
fermeté » comme une sœur jumelle dans sa rhétorique - tout en adoptant
des mesures qui sacrifient la première à la seconde et renforcent sans cesse
leur précarité.
Les organisations soussignées appellent le
gouvernement à s'en tenir aux exigences de la Cour de justice européenne plutôt qu'à s'efforcer
de les contourner. Elles lui demandent
de tirer toutes les conséquences de la dépénalisation du séjour
irrégulier et, notamment, d'abandonner son projet de décret de modification du
FAED.
13 mars 2013
Organisations
signataires :
Avocats pour la défense des droits des
étrangers (ADDE), Comede, Emmaüs France, Fasti, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de
l'homme, MRAP, Revue Pratiques, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau,
Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM),
Syndicat de la médecine générale (SMG)